La date qui m’a marquée
28 février 2014 : la Crimée est envahie par l’armée russe, amorçant l’annexion de la péninsule et basculant l’Ukraine dans une spirale géopolitique, qui nous dépasse Sergueï et moi. Je me préparais à passer les écoles de journalisme. De là, je me suis mise à le chercher, en vain, sur les réseaux sociaux.
L’info que j’ai retenue pour vous
Il paraît que l'Europe a un plan pour “l'Après”. Vous savez, le plan d'après la guerre, l'invasion, les massacres. Début septembre, Ursula von der Leyen a indiqué que des “plans assez précis” sont en cours d’élaboration pour instaurer une force multinationale post-conflit, avec l’aval de Donald Trump – celui qui devait arrêter la guerre en 24 heures, au grand dam de millions d'Ukrainiens, qui y croyaient sans y croire. Comme mon frère. Bref, nos diplomates sortent les grands mots depuis cet été : “garanties de sécurité”, “coalition des volontaires”, et même “soldats européens en Ukraine”... idée-kryptonite qui a bien sûr fait fuir les Allemands.
Le seul truc que j'accorde à Mme von der Leyen, c'est la lucidité de cette phrase : « Poutine n'a pas changé, c'est un prédateur. » Donc acte ?
Une raison d’espérer
Enfin, une fissure, dans l'image proprette du président ukrainien – celle véhiculée en Europe occidentale du moins. Fin juillet 2025, des milliers de jeunes Ukrainiens sont descendus dans la rue après que le Parlement a voté la suppression de deux agences anticorruption. Pour elles et eux, c’était trahir l’héritage de Maïdan, renoncer à l’espoir d’un État plus juste, loin des réflexes à la russe. Début août, leur mobilisation a fait reculer le pouvoir and I think that's beautiful : sous la pression, les députés ont rétabli l’indépendance des agences – fort utiles dans un pays gangréné par la corruption.
En pleine guerre, ce sursaut citoyen me rappelle que la société civile ukrainienne garde des moyens de pression sur le pouvoir en place. Et comme dirait mon frère en réaction à tout cela : “N'oublions pas que l'actuel président de l'Ukraine n'est pas seulement un clown… mais aussi un acteur .”
Le film que je recommande
Son titre en anglais est une petite merveille : Songs of Slow Burning Earth est un documentaire d'Olha Zhurba, vu au Fipadoc cette année, bientôt sur ARTE. En français, Ukraine. La guerre, ordinaire a été coproduit par plusieurs sociétés de prod européennes, et fait partie du programme “Génération Ukraine” d'Arte, au même titre que l'excellent Interceptés que vous connaissez déjà peut-être.
Songs of Slow Burning Earth est un journal audiovisuel suivant la plongée de l’Ukraine dans les abysses des deux premières années de l’invasion russe. Sans voix off, mais à travers des lieux, des visages, quelques témoignages, des bruits d'obus et des silences, la réalisatrice montre comment la guerre s’est imposée comme une norme.
Le voir a été pour moi une expérience intime et troublante : j’y ai reconnu, de l’intérieur, des moments que mon frère Sergueï a lui aussi traversés. Ce film m’a permis d’approcher, par l’image et le son, une part de son quotidien assiégé, que nos échanges seuls ne pouvaient restituer. Et dans ce désastre collectif, j’ai aussi perçu l’émergence d’une génération qui, comme lui, tente malgré tout d’imaginer un futur.

Le 14 septembre 2024, dans la région de Tchernihiv, en Ukraine. — Kostiantyn Liberov
Une phrase qui me questionne
“Was ich nicht weiß, macht mich nicht heiß” (“Ce que je ne sais pas, ne me met pas en colère”)
Proverbe allemand, repris par Goethe, mantra d'enfance, hymne au lâcher-prise, et à la politique de l'autruche... disons qu'il a ses limites. Surtout en temps de guerre, ou de génocide.