La newsletter de Kometa devient La Comète : même éclat, nouvelle trajectoire. Le dernier jeudi de chaque mois, Kometa donne la parole à notre boursier, le journaliste russe Dmitry Velikovsky qui nous parle d'un vieux président qui fait des siennes (oui, dit comme ça, ça peut hélas concerner pas mal de monde...).


Plus d’1,2 million de jeunes enrôlés dans la Younarmia, reflet de la militarisation de la jeunesse russe. © Alyona Rodionova (pseudonyme d'une des rares photojournalistes russes exerçant encore dans le pays).

Bonjour, c’est Dmitry Velikovsky,

Je suis journaliste d’investigation et je réside actuellement en France. Je travaille pour le consortium OCCRP et iStories, un média russe en exil, mais toujours bien vivant. Reporter, producteur de documentaires, enquêteur : j’ai publié dans des médias russophones et internationaux comme le Washington Post, la BBC ou Vice, et reçu plusieurs distinctions, dont l’European Press Prize, le Sigma Award, le prix George Polk et 1/370e du Pulitzer pour les Panama Papers.

Mais il n'y a pas de prose sans épines. Hélas, rester en Russie et être un journaliste digne de ce nom sont devenus deux concepts mutuellement exclusifs. Mes médias ont été qualifiés d'“agents étrangers” et d’“organisations indésirables”, mes comptes bancaires sont gelés et ma famille a dû quitter la Russie pour de bon. C'est un prix énorme à payer pour être journaliste. Un prix modeste pour être soi-même.

Tout cela fait de moi le premier boursier Kometa pour auteurs menacés ou en exil, une initiative qui soutient la création malgré la répression. Une fois par mois, j’y anime la newsletter, partageant une actualité ou un fait culturel russe marquant.

Dmitry Velikovsky

Journaliste d'investigation

С днем ​​рождения, господин Президент !

Octobre est le mois où Poutine a fêté ses 73 ans, dont plus d’un tiers (25) passés à la tête de la Russie. Une petite journée de fête pour l’homme, un énorme casse-tête pour l’humanité.
Entre autres choses, l’anniversaire de Poutine peut être intéressant en tant que baromètre du respect reflétant la position géopolitique de la Russie. Lors de son 60e anniversaire, en 2012, il avait reçu des vœux de presque tous les pays du monde. La guerre a ensuite réduit ce flux : dix ans plus tard, l’indicateur est descendu à quatorze dirigeants mondiaux qui ont envoyé leurs félicitations, puis une douzaine en 2023 et 2024.
Cette année, toutefois, la dynamique repart à la hausse : selon son conseiller diplomatique Iouri Ouchakov, “environ 40” dirigeants mondiaux auraient félicité leur confrère russe. Si cela est vrai, ce rebond ne s’explique pas par un changement dans les habitudes cannibales du régime, mais plutôt par leur normalisation et l’évolution du paysage géopolitique.

Une armée qui s’entretue

Le nombre de missiles et de drones utilisés dans les attaques quotidiennes contre l’Ukraine augmente de manière quasi exponentielle, et les pertes russes continuent de se chiffrer en milliers chaque semaine. La plupart périssent au combat, mais pas tous.

Le média indépendant Verstka a publié cette semaine des récits saisissants de soldats russes et de leurs proches, confirmant les rumeurs de commandants tuant leurs propres subordonnés. Ces récits, parmi les plus effrayants de la guerre, sont aussi précieux : vous pouvez lire cet article sur les soldats russes neutralisés ou plutôt “nullisés” (c'est le terme qu’ils emploient) par leurs propres compatriotes ici.

Précieux, car ils bousculent la propagande d'un régime autoritaire. Le mois dernier, avec d'autres auteurs, j’ai d'ailleurs publié chez Kometa un guide qui m’est particulièrement cher : une exploration des façons dont, partout sur la planète, du Bangladesh à la Serbie, de Khartoum à Téhéran, des citoyens inventent des façons de dire non, souvent avec presque rien. De l’humour comme arme blanche aux poèmes au cœur d’un siège militaire, des vidéos relayées clandestinement depuis la Chine à des étudiants serbes bloquant une capitale avec des bouquets et des casseroles. Un tour d'horizon des modes de résistance à retrouver dans le #K8.

Étudiants piégés et militaires en CDI

Depuis fin 2022, tous les contrats militaires sont devenus de facto indéterminés : impossible de les rompre tant que le président n’a pas signé un décret proclamant la fin de “l’opération militaire spéciale”. Dans de nombreux cas, ces contrats ne sont même pas volontaires, signés sous la contrainte ou automatiquement. Important Stories a publié plusieurs témoignages d’étudiants d’universités militaires, parfois mineurs, déjà pris au piège.
“Nous sommes otages. Je fais partie des étudiants retenus ici contre leur gré. J’ai déposé une demande officielle de radiation, mais ils l’ignorent. Ils ne rendent pas les documents. Ils ne laissent pas partir. C’est le système. Aidez-nous à sortir d’ici ”, raconte Evgeniy, 17 ans, étudiant de l’Académie militaire des communications Semion Boudienny de Saint-Pétersbourg.

Déserteurs et mobilisation permanente

Dans un contexte où il est impossible de quitter le service militaire, de plus en plus d’hommes choisissent la fuite malgré les risques d'être condamné à 15 ans de prison ou d'être simplement battu à mort par ses camarades. Voici un récit de première main sur ce qu'implique une telle désertion.

En mai 2025, le nombre total de déserteurs de l'armée russe s’élevait au moins à 50 000 et il doit être probablement bien supérieur aujourd'hui.
Le Kremlin a tenté de résoudre le problème du recrutement en augmentant les primes d’enrôlement et les salaires, mais ces montants pèsent lourdement sur un budget déjà déficitaire.

Désormais, l’État passe de la carotte au bâton : les réservistes sont mobilisables en temps de paix, la conscription se fait toute l’année et les convocations numérisées rendent chaque homme “informé” par défaut. Ceux qui ne se présentent pas perdent certains droits (voyager, conduire, quitter le pays) et peuvent être recherchés par la police.

Depuis 2022, des milliers de manifestants russes s'opposant à la guerre et aux conditions d'enrôlement en Russie ont été arrêtés. © Evgeny Feldman

Les notes de la dissidence

Ces mesures répressives devraient suffire, pour l’instant, à éviter une pénurie de soldats. Mais elles révèlent aussi que le soutien à la guerre en Russie est loin d’être aussi massif que la propagande veut le faire croire. Et même dans une tyrannie aussi sévère, quelques lueurs parviennent à traverser le brouillard.

Hier, à Saint-Pétersbourg, le groupe de musique de rue Stoptime a été jugé pour avoir joué des chansons composées par des « agents étrangers », dont une ou deux pacifistes. Un guitariste, un batteur et une chanteuse ont été condamnés à une amende et placés en détention pour des durées allant de 13 à 26 jours.

Leur popularité a pourtant décollé : leurs concerts attirent les foules, et leur chaîne Telegram est passée de 500 abonnés en août à plus de 50 000 aujourd’hui. Apparemment, comme à la fin de l’ère soviétique, beaucoup de gens aspirent à la liberté ou, du moins, à ne plus étouffer. Nous verrons si cette histoire prendra finalement le même tournant.

La “reko” de Kometa

Par Clara Meysen, responsable communication

La capitale du Kirghizstan abrite une scène musicale indépendante aussi vibrante que méconnue, dont le duo de post-punk déjanté Vtoroi Ka est l’une des figures emblématiques. Créé en 2017 par Ilya et Sultan, deux copains d’école, Vtoroi Ka passe du rap à la pop et au post-punk d’un album à l’autre, avec toujours la même énergie turbulente. Ironie, paroles fleuries et clips grotesques, le groupe transpire l’atmosphère post-soviétique bling et sulfureuse des nuits underground de Bichkek. Pour la première fois, Vtoroi Ka sera en concert à Paris, à Bruxelles et dans plusieurs capitales européennes la semaine prochaine.

À écouter ici 🔊

Le jeu de la Comète

La semaine dernière, on vous emmenait sur la perspective Nevski, à Saint-Pétersbourg (Russie), devant la cathédrale Notre-Dame-de-Kazan où le groupe Stoptime s'était produit avant son arrestation (voir le récit de Dmitry). Bravo à nos nombreux lecteurs qui ont identifié ce lieu !

Pour cette nouvelle édition, on corse un peu les choses ! Alors, saurez-vous deviner où la Comète vous téléportera la semaine prochaine ? 👀

Pour jouer, cliquez 👉 ici


Chaque semaine
des récits, des photographies
et des recommandations culturelles inédites

Recommandez Kometa à vos amis

Partager sur les réseaux sociaux

8 rue Saint Marc, 75002 Paris

Vous souhaitez nous contacter,
contact@kometarevue.com.

© Copyright 2023 Kometa