La newsletter de Kometa devient La Comète : même éclat, nouvelle trajectoire. Cette semaine, découvrez comment le réalisateur roumain Cristian Mungiu transforme l’observation des vies ordinaires en récits collectifs. Son réalisme sans concession éclaire les tensions sociales, les mémoires enfouies et les fractures du quotidien.

À Trip, une femme émigrée à Paris puis mariée à un Roumain enrichi en France a fait bâtir un château et raser sa première maison à deux étages pour qu’il soit pleinement visible depuis la rue. © Petruț Călinescu

Bonjour, c’est Cristian Mungiu

Je suis cinéaste, écrivain et photographe, et je me présente souvent comme un raconteur.
Je suis né en 1968 à Iași, près de la Moldavie, en plein baby-boom roumain. Je viens d’une génération que j’appelle “la génération sacrifiée”. Celle qui a grandi dans des classes surchargées. La mienne a atteint parfois 42 élèves alors que, quelques années plus tôt, elles en comptaient dix de moins. Cette expérience scolaire, la difficulté d’affirmer une individualité au milieu d’un grand nombre, a profondément marqué ma relation à l’expression individuelle et à la collectivité.

Avant le cinéma, j’ai pratiqué l’écriture, le dessin et la photographie. Aujourd’hui, comme parrain du festival Un Week-end à l’Est, je travaille à faire dialoguer les arts et à montrer une Roumanie multiple, loin des stéréotypes. J’ai réalisé six longs-métrages, depuis Occident (2002) jusqu’à R.M.N., sorti en 2022. En 2007, mon deuxième film, 4 mois, 3 semaines, 2 jours, a reçu la Palme d’or à Cannes. 

Cristian Mungiu

Réalisateur et scénariste

Mon article dans “Kometa”

“La civilisation est une fine couche de vernis”

Interrogé par la rédactrice en chef de Kometa Léna Mauger, je parle de ce qui nourrit mon travail depuis des années : comment la société roumaine a évolué depuis la chute de Ceaușescu, pourquoi le racisme et le repli identitaire progressent, et en quoi ces phénomènes dépassent largement nos frontières.

Je reviens sur mes films, sur les faits réels qui les ont inspirés, sur ce que j’ai observé dans les villages, les familles, les débats publics. Je raconte aussi mon histoire personnelle, l’époque communiste, les privations, le double langage, et la façon dont ces expériences ont façonné ma manière de filmer.


Un entretien à retrouver dans “Kometa” n° 10, “Bête dans un monde humain”.

MON PARCOURS

Après 1989 et la chute du mur, j’ai travaillé comme journaliste à la radio et dans la presse écrite à Iași. Les semaines qui ont suivi ont été marquées par une euphorie: les journalistes étaient alors vus comme des héros. Rapidement, la situation s’est retournée et la presse a été accusée de mensonge. Cette expérience a façonné mon obsession pour la vérité.

Je voulais faire du cinéma et j’ai tenté le concours de l’École nationale de cinéma de Bucarest. J’ai d'abord échoué pour une raison logistique: on m’a dit que j’étais sélectionné pour la dernière épreuve le matin même, mais je n’ai pas pu m’y rendre car il n’y avait plus de train pour Bucarest. J’ai passé toute l’année suivante à me préparer ; à ma seconde participation, le jury s’est rappelé ce coup du sort, et j’ai été accepté. Pour pouvoir payer l’école, j’ai travaillé comme assistant réalisateur. Le plateau m’a apporté la pratique, l’école la théorie. C’est cette double immersion qui a structuré ma méthode.

MON STYLE

Dans ma jeunesse, avec des amis, nous regardions les films roumains des années 1980 et nous les jugions très mauvais parce qu’ils prétendaient représenter notre quotidien alors qu’on ne s'y reconnaissait pas du tout. Cette frustration a nourri ma volonté d’un cinéma réaliste et fidèle au réel.

Sur le plan technique, je privilégie les plans-séquences, les coupes limitées et les ellipses réduites. Ces choix cherchent à suivre le rythme naturel des événements: la caméra reste immobile quand la scène exige du calme, elle se déplace quand la vie se met en mouvement. Néanmoins rien n’est improvisé, tout est répété et chorégraphié pour que la spontanéité paraisse vraie.

Au niveau narratif, je ne veux pas faire de films à thèse: je veux mettre en scène des situations complexes, nuancées. Je pars souvent d’un fait divers ou d’une situation réelle et je développe ce matériau pour en extraire une portée collective. Il en va ainsi de mon prochain film, Fjord, qui sortira en 2026. L'action se passe dans un petit village de Norvège et, à travers les rapports entre une famille roumaine et une famille suédo-norvégienne, évoque la problématique des différences culturelles.

RACINES, HISTOIRE ET MÉMOIRE

J’ai écrit Une vie roumaine : Tania Ionaşcu, ma grand-mère de Bessarabie bien avant sa publication. Le texte existe depuis les années 1980, mais je le publie seulement maintenant en raison de sa résonance contemporaine : les conflits actuels, notamment la guerre en Ukraine, ravivent des histoires de déplacements et de mémoires fracturées. Cette publication permet selon moi que ces voix singulières trouvent un écho dans la mémoire collective contemporaine.

Dans mon dernier film, R.M.N. (2022), situé dans un village transylvanien multiethnique, j’ai filmé l’arrivée de travailleurs srilankais et les réactions locales. Le film interroge la xénophobie et les dynamiques identitaires. Il montre aussi que la peur et les tensions peuvent surgir à l’intérieur même de groupes historiquement marginalisés: des conflits que j’ai qualifiés de “dedans/dedans”. Toutefois, j’ai conscience qu’un film ne peut pas représenter un pays entier: il propose simplement une atmosphère, un angle, un point de vue.

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L'agenda de Kometa

29 novembre

Entretien : Mircea Cārtārescu, Ioana Pârvulescu & Matéi Visniec

Aux côtés de Mircea Cărtărescu, deux figures majeures de la littérature roumaine contemporaine : Ioana Pârvulescu, qui mêle enquête, fantastique et Histoire dans La vie commence vendredi, et Matéi Visniec, dont le recueil théâtral Là où naissent les frontières et les châteaux de sable explore les frontières entre tragique, comique et absurde. Un échange à trois voix, mené par Léna Mauger, pour célébrer mémoire, imaginaire et vitalité de la littérature roumaine.

À voir

« Cristian Mungiu. La biographie d’un raconteur »
Présentée dans le cadre du festival, cette exposition réunit photographies, objets, archives, extraits de scénarios et textes. Elle met en relation mes pratiques, cinéma, écriture, arts visuels, et montre comment ces médiums se répondent autour d’une même préoccupation : rendre visibles des parcours individuels qui disent quelque chose de plus vaste.

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Cristian Mungiu était à Paris en tant que parrain du festival Un Week-end à l’Est, partenaire de Kometa. À cette occasion, il a donné une grande conférence aux Beaux-Arts intitulée “Retour sur la biographie d’un raconteur”, animée par Arnaud Laporte (France Culture). Les propos présentés dans cette newsletter ont été recueillis par Ella De Castro, journaliste alternante à Kometa.

À voir

Par Sarah Ahnou, secrétaire de rédaction

« Tu ne pourras pas dire qu’un Indien ne peut pas être élégant, dit le vieux Al Moon à la réalisatrice, hors champ, une malice dans le regard, en mettant la touche finale à sa tenue soignée. Les Blancs ont un mot quand ils parlent de nous : “sauvages”. » Il poursuit un ton en dessous, assombri : « Nous ne sommes pas “sauvages”, nous sommes LE peuple » (Les Recommencements, d’Isabelle Ingold et Vivianne Perelmuter).

Les 30es Rencontres du cinéma documentaire au cinéma Méliès, à Montreuil, se sont ouvertes hier soir, mercredi 26 novembre, avec Les Recommencements, et le ton est donné : salle comble. Ce voyage au côté d’Al Moon est aussi celui de l’introspection, au rythme des réflexions de cet Indien yurok sur la nature, le changement de comportement des espèces animales, la vie dans la réserve, portées par des inflexions de voix douce, presque un murmure. Et en toile de fond des images léchées des grands espaces ou expérimentales, quand la guerre du Vietnam s’invite, entre onirisme et réminiscences du vétéran.

Au programme des Rencontres : une sélection de 25 longs métrages, dont des avant-premières, une quinzaine de courts, des leçons de cinéma, tables rondes, masterclasses et la présentation publique de trois projets en cours de montage. Un programme dense et complet, conçu par les membres de l’association Périphérie, des experts au regard sûr : consultez le programme, et si vous êtes libre, allez-y ! Vous ne prenez aucun risque.

Informations et programme complet ici

Le jeu de la Comète

Il y a quelques jours, la Comète vous emmenait à la Cathédrale métropolitaine de Iași, ville de naissance du réalisateur roumain Cristian Mungiu. Bravo à celles et ceux qui ont reconnu ce lieu sacré !

Saurez-vous deviner où passe La Comète la semaine prochaine ? 👀

Pour jouer, cliquez 👉 ici.


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