Mon article dans Kometa : Un soldat nommé désir
Mon texte pour Kometa, inspiré par mon roman Guerre et Pluie, parle du désir d’un jeune soldat dans les tranchées – j’étais moi-même un soldat, contre mon gré. Un texte sur le délire nationaliste (Bosnie 1992) qui transforme les jeunes gens en soldats. Sur Éros et Thanatos. Sur cette étrange alchimie du corps qui ne cesse, paradoxalement, de s’intensifier à mesure que la mort s’en approche. Mon texte parle du manque d’amour physique dans la vie d’un soldat des tranchées. Des érections vaines de chair à canon.
J’écris aussi sur la tristesse. J’écris sur l’absurde de la guerre qui dévore cette même chair des garçons sacrifiés sur l’autel de la patrie.

Milijevina, à l'est de la Bosnie-Herzégovine. Pendant la guerre, le Motel EHOS a servi de siège pour la cellule de crise chargé d'expulser les non-Serbes. De nombreux viols y ont été perpétrés.
Extrait:
Les tranchées sont une mécanique curieuse. En quelques jours, les conditions de vie inhumaines effacent toute trace de honte. Ce que nous appelons un comportement civilisé dans la vie normale disparaît. Tout ce qui est individuel et intime devient public. On mange en public, on tire en public, on meurt en public, on se couche, on pisse et chie en public… Une des rares choses individuelles est la masturbation. Comme une source répétée de courte gratification. Un dernier lien avec la vraie vie. Une autre preuve que les mauvaises conditions, la peur ou une dégoûtante alimentation n’affectent pas beaucoup la libido.
Chacun de ces orgasmes douloureux était pour moi un adieu touchant à l’amour. Semblable à l’alcool, que j’ai bu en quantités inhumaines à chaque occasion. Ivresse, oubli bref, extase et réveil avec cette douleur fantôme de quelque chose qui manque. L’amour, bien sûr.
La guerre a fait de nous des hommes inachevés.
Un article à retrouver dans le numéro 8 de Kometa

L’info que j’ai retenue pour vous
Le samedi 5 juillet 2025, à Zagreb, la capitale de la Croatie, un concert étrange et désolant a eu lieu. Marko Perković Thompson, chanteur croate qui est trop proche des valeurs «traditionnelles», de l’Église, de la nation et de la glorification de la guerre, a donné un concert devant près d’un demi-million de personnes. Annoncé comme un spectacle avec le plus grand nombre de billets vendus au monde, le concert était rempli de pyrotechnie, de symboles religieux et d’épées. Effrayant.
La date qui m’a marquée
Le 4 mai 1980, Josip Broz Tito, président à vie de la Yougoslavie et du Parti communiste de Yougoslavie, est décédé à Ljubljana (Slovénie actuelle), à 15 h 05. Au moment de sa mort, il avait presque 88 ans, moi presque 15 ans. Selon l’Eurovision, les funérailles de Josip Broz sont le deuxième événement télévisé le plus regardé du XXe siècle. Juste après l’atterrissage de la Mission Apollo 11 sur la Lune. Je le répète souvent: pour nous en Yougoslavie après Tito, c’était… le Titanic.
Le livre que je recommande
Le livre auquel je reviens sans cesse est Le Grand Cahier d’Agota Kristof. Bien sûr, je dois souvent répéter : non, ce n’est pas Agatha Christie, il n’y a pas d’Hercule Poirot ici, le tueur n’est pas le jardinier, c’est Agota Kristof, un autre écrivain qui a trouvé sa patrie dans la langue française. Ce livre est une nouvelle preuve que la grande littérature ne nécessite pas automatiquement beaucoup de mots.
Le film que je recommande
J’ai longtemps pensé que le plus grand film de guerre était Apocalypse Now de Francis Ford Coppola. C’est une grande épopée, ce film, bien sûr. Mais, en 1998 Terence Malick est apparu avec son film philosophique, visuel, poétique sur la Seconde Guerre mondiale : La Ligne rouge. Intime et spectaculaire à la fois, il nous propose son œuvre baroque, une conte philosophique basée sur une bataille entre Américains et Japonais. L’opéra filmé comme une comparaison constante entre la nature, symbole du paradis, et l’homme-enfer. Entre notre civilisation destructrice et la sagesse des hommes qui vivent en harmonie avec la nature. Sublime.
Une phrase qui m’inspire
«J’ai appris la valeur de l’humour sous la terreur stalinienne. J’avais vingt ans à l’époque. Je savais toujours reconnaître quelqu’un qui n’était pas stalinien, quelqu’un dont je n’avais rien à craindre, à sa façon de sourire. Le sens de l’humour est un signe de reconnaissance auquel on peut se fier. Et depuis, je suis terrifié par un monde qui perd son humour.»
Milan Kundera (entretien avec Philip Roth in Parlons travail, Gallimard, 2004)