Chaque semaine, même éclat, nouvelle trajectoire sur La Comète, la newsletter de Kometa qui illumine les recoins de liberté. Cette semaine, le photographe et réalisateur Vincent Munier nous entraîne dans les forêts, capturer les effacements et les silences du monde sauvage, pour mieux comprendre ce que les bêtes ont à nous dire et ce que nous avons à apprendre d'elles.

Ours polaires, Manitoba, Canada, 2010. © Vincent Munier

Bonjour, c’est Vincent Munier

Je suis photographe et réalisateur, je me sens artisan de l’image, au service de la beauté du monde sauvage. Photographe au départ, naturaliste, un peu aventurier, puis éditeur, cinéaste, producteur et même paysan, j’ai multiplié les façons de raconter ce lien intime avec la nature. Mon camp de base est une ferme vosgienne, mes racines y sont profondément ancrées, entourées de forêts qui m’ont façonné. 

Très tôt, j’ai été attiré par les espaces vierges – Grand Sud, Grand Nord – pour assouvir mes rêves d’enfant : rencontrer les bêtes sauvages, partager leur vie, les vénérer par l’image. Auteur d’une douzaine de livres, j’ai aussi réalisé La Panthère des neiges (César 2021) et Le Chant des forêts, en salle depuis le 17 décembre, hommage sensible aux montagnes de mon enfance, que j’ai présenté en avant-première au festival du film des Arcs.


Vincent Munier

Photographe et réalisateur

Histoire d'une vocation : l'appel de la forêt

Mon camp de base, mon amour de jeunesse que je n’ai jamais réussi à quitter, ce sont les Vosges, autour de Charmes. On habitait une petite ville avec pas mal de chômage, dans une maison modeste, entre une voie ferrée et une friche industrielle : ce n’était pas un décor de rêve. Pourtant, dès qu’on passait la dernière usine, il y avait mille hectares de forêt, accessible en trois coups de pédale. Et pour moi, c’était l’infini.

Mon père, prof en lycée technique et naturaliste autodidacte, était un écologiste de la première heure. Un de ces militants – entomologistes, mycologues, ornithologues – qui se battaient contre la pollution et les stations de ski. Je ne foutais rien à l’école, mais j’écoutais toutes ses histoires. Il m’a transmis un amour silencieux et total du vivant. 

Mission et transmission

Très tôt, mon père m’a mis un appareil photo entre les mains. Un jour, à 12 ans, je me suis allongé dans l’herbe sous un filet de camouflage. Un chevreuil est passé tout près. J’ai tremblé. J’avais un vieux fusil photographique allemand, avec mise au point par la poignée. J’ai pris ma première photo animalière. Floue, moche, mais j’ai su. Ce serait ça: me rendre invisible, pour faire apparaître le sauvage. Ça m’a sauvé. J’ai raté trois fois le bac. Mais j’avais trouvé ma voie.

Aujourd’hui , j’essaie de faire la même chose avec mon fils de 13 ans, Simon, qui est aussi l’objet de mon film. Je l’emmène en forêt, sans lui dire quoi penser. Je le laisse souvent marcher devant. J’aime qu’il sente, qu’il entende, qu’il apprenne par lui-même. 

Ce sont les hommes qui détruisent le plus le vivant. Transmettre à un fils, c’est d’autant plus fort. Le message que je veux lui faire passer, c’est que rien ne nous appartient, ni les forêts, ni les bêtes, ni les images. La nature n’a pas besoin de nous. On doit juste la laisser en paix. 

Retrouvez le grand entretien avec Vincent Munier réalisé par Léna Mauger dans le Kometa 10

L'actu qui m’a marqué

La mort récente du dernier grand tétras des Vosges, un animal qui est au cœur de mon nouveau film. Mon père était obsédé par cet oiseau rare, farouche, presque préhistorique. Le jour de mes 10 ans, il m’a laissé seul sous un sapin, en pleine saison des amours. Je suis resté toute la nuit. C’est pas rien quand t’es gosse. Mais c’est la seule manière de le voir. Il arrive au crépuscule, chante au petit matin. Tu n’oses pas bouger, tu te dis qu’il va sentir ta présence… C’est hyper puissant. Après ça, chaque printemps, je passais dix ou quinze nuits seul à essayer de l’observer. 

En 2023-2024, d’après les comptages, il ne restait plus que trois femelles isolées dans tout le massif des Vosges, et aucun mâle – donc extinction locale. Ce n’est pas la nature qui a fait son œuvre : c’est nous. Fragmentation des forêts, tourisme de masse, dérèglement climatique… Je suis très critique sur les tentatives de réintroduction. C’est typique de notre époque : on fabrique du sauvage à la place de le préserver. Le grand tétras a disparu parce qu’on a détruit ses conditions de survie. Et maintenant, on le relâche, artificiellement, pour se donner bonne conscience. 

Grand Tétras, Vosges, France, 2014. © Vincent Munier

Une raison d'espérer

Devant la disparition du vivant, j’éprouve une grande souffrance, une grande tristesse, mais je pense qu’il n’est pas constructif de la mettre en avant. Je préfère montrer la beauté des paysages et des bêtes qui nous entourent, et des actions concrètes. Autant avec le réchauffement du climat, on est tous embringués, on ne peut pas vraiment agir. Mais à une échelle plus locale, c’est impressionnant de voir à quel point la vie peut revenir vite dans des endroits qui ont souffert. Dès qu’on remet des haies, des murets, comme je l’ai fait autour de ma ferme, des oiseaux, des insectes, des espèces reviennent! Le bruit animal revient. Et ça, c’est hyper encourageant.

L'œuvre que je recommande

J’admire énormément l’artiste et naturaliste suisse Robert Hainard (1906-1999). Dans ses gravures d’une puissance folle, on sent qu’il a vu ce que peu des gens voient. Il se fondait dans le paysage, seul, à l’affût, des mois durant, pour contempler les bêtes sans les déranger. Je me reconnais là-dedans. L’affût, c’est aussi une école du doute. Tu apprends à penser comme l’animal. Où marquerait-il son territoire? Où irait-il chasser? Tu développes ton instinct, tu retrouves tes sens. Comme les félins, tu dois être proche, invisible, effacé. C’est aussi une sorte de méditation. J’appelle ça la voie de l’immobile.

Une phrase qui m’inspire

Ce que m’a dit mon père quand j’étais enfant :

“Tu peux photographier, mais d’abord, apprends à observer. Sois à la hauteur de ce que tu regardes.”

Mon animal préféré

La grue. J’aime le bruit, le vol en V, la migration, sa silhouette de grand voilier. En vol, elles mesurent plus de deux mètres d’envergure. Des planeurs. Des géantes. J’ai suivi leur trajet, de la Scandinavie à l’Espagne et au Japon. Mon premier livre, Le Ballet des grues (Editions du Terran, 2000), c’est sur elles.

Grue de Mandchourie, Hokkaïdô, Japon, 2010. © Vincent Munier


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La “reko” de Kometa

Par India Muël, directrice artistique


Annabelle Amoros, Churchill, la ville des ours polaires

Dans la continuité du numéro 10 de Kometa “Bête dans un monde humain”, je recommande le court-métrage documentaire Churchill, la ville des ours polaires, d’Annabelle Amoros, sorti en 2021 et à (re)découvrir sur sur la plateforme Tënk.

Au nord du Canada, la migration saisonnière des ours polaires vers la baie d’Hudson pour chasser le phoque impose aux 800 habitants de la petite ville de Churchill (Manitoba) une cohabitation délicate avec l’animal. Chaque automne, en attendant la formation de la banquise, les ours convergent vers les abords de la ville, transformant ce hameau isolé en zone de contact permanent entre humains et faune sauvage. 

Le documentaire révèle le paradoxe d’un prédateur perçu à la fois comme une menace et comme un atout touristique majeur, attirant chaque année des visiteurs fascinés. Il interroge la place du sauvage dans un environnement bouleversé par le dérèglement climatique et met en lumière la difficulté de l’homme à partager son territoire avec les bêtes. Un regard lucide sur une cohabitation forcée.

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